Visite dans le passé avec Jean et Liliane
Il y a 30 ans, Jean, ancien comptable de la quincaillerie, fermait définitivement les portes de ce lieu qui a marqué la mémoire de nombreux Arrageois. Jamais il ne pensait revenir dans cet endroit qui a marqué 40 ans de sa carrière et évidemment de sa vie.
C’est accompagné de sa femme Liliane, de ses filles et de son petit-fils, que nous avons eu l’honneur de réouvrir les portes de ses souvenirs.
Il est difficile de retranscrire l’émotion que nous avons tous ressenti lors de cette visite, nous avions les yeux rivés sur ce grand Monsieur et nous buvions ses paroles “J’ai l’impression d’être une star” !
Jean, 91 ans, la dernière mémoire de cet endroit, se rappelle avec précision de son quotidien. Il s’est d’abord arrêté sous la coupole, accroché à la douce main de Liliane, puis s’est faufilé vers le coffre-fort pour tenter d’y trouver les traces du passé. Jean n’était pas que comptable, c’était aussi le “calligraphe” du magasin. Étiquettes, affiches tout était écrit de sa main : “Il avait une belle écriture, une écriture de comptable” sourit Liliane.
Et puis ils continuèrent leur pèlerinage en se dirigeant vers les cartes postales encore épinglées au mur ! “C’est l’écriture de Monsieur Jean, un autre.”
Jean nous a raconté son embauche, représentative de cette époque d’après-guerre, où il y a avait du travail pour toute personne en demande “on ne faisait pas de manière pour embaucher”. Il nous a expliqués qu’il se reposait, tranquillement dans son jardin avec sa soeur qui lisait le journal local et qui est tombée sur l’annonce d’emploi de Mr Lecup. Le régiment, selon ses dires, l’avait rendu un peu fainéant et c’est pourquoi il demanda à sa soeur d’écrire la lettre de réponse à sa place. Il fut alors candidaté par Albert Lecup qui lui posa quelques questions, posa devant lui une feuille avec une liste de calculs à faire et partit. Jean comptait très vite et au retour d’Albert, la feuille était remplie. C’est ainsi qu’il fut embauché.
Il nous raconta que l’égalité et la générosité étaient des valeurs fortes chez les Lecup.
Chaque enfant de chaque employé avait le droit à un cadeau à Noël, Valentine Lecup avait naturellement prêté son berceau en osier à Liliane pour la naissance de leur fille. Albert aimait faire le tour des ateliers pour discuter avec ses ouvriers et magasiniers.
Grâce à Jean et Liliane, nous avons appris qu’Albert récupérait tout ce qui traînait. “S’il marchait dans la rue et trouvait une vis ou un clou par terre, il le ramassait pour l’ajouter à son magasin. Il avait récupéré tous les vestiges de la guerre, les obus, les engins militaires et les avait gardés. Il faisait les brocantes, à la recherche de petites pépites qui pourraient servir pour son magasin ou qu’il pourrait retaper pour son utilisation personnelle.”
‘’C’était un ferrailleur, un vrai. Il voyait du potentiel dans tout ce qu’il trouvait et savait qu’il pourrait le revendre. ‘’
Albert et Valentine étaient ‘’increvables’’. Ils n’avaient pas peur du travail et savaient se retrousser les manches. Albert avait d’ailleurs raconté à Jean comment, à la sortie de la 1re guerre, alors qu’il travaillait à la Société générale, Valentine et lui prenaient leur voiture à bras et allaient chercher de la ferraille “Albert tirait, Valentine poussait”. Un vrai travail d’équipe qui ne s’est jamais arrêté. Après la deuxième guerre mondiale, Valentine rejoignit la quincaillerie et y accueillit les clients. Elle aimait tricoter en attendant le client, mais passait sa journée à donner des vis et des clous ce qui lui donnait les mains sales et qui, forcément, salissait ses beaux tricots blancs.
Jean est resté comptable jusqu’à la fermeture de la quincaillerie en 1991. Jusqu’au jour où il a fermé les portes, pour la toute dernière fois. Mr Lecup aura été le plus important et le dernier employeur de Jean. Il a décidé, à la fermeture de la quincaillerie, d’arrêter de travailler et de prendre sa retraite un peu en avance, en gardant le souvenir d’un patron ‘’formidable’’.
Durant cette visite, Dominique, un voisin des Lecup, nous a rejoints pour papoter avec nous de ce lieu et se remémorer des histoires. Jean et sa maman se connaissaient, et ont pu se retrouver à la fenêtre de celle-ci en sortant.
C’était une très belle rencontre, forte en émotions et nous nous sentons privilégiées d’avoir pu rencontrer cet homme, sa pétillante femme et leur famille, d’avoir pu partager avec eux un moment si fort et riche. Jean fait partie de l’âme de cet endroit et sa magnifique écriture est restée et restera sur les affiches, les étiquettes et les derniers livres comptables du coffre-fort.
FIN
Cécile et Margaux